Translate

mardi 30 novembre 2010

Signore e signori, buonanotte !

Mario Monicelli (Viareggio, 16 mai 1915 - Rome, 29 novembre 2010)




I Soliti Ignoti (1958), scène finale

"Ma guarda dove sono capitato : fra i lavoratori ! Peppe, ma dove vai ?... Dove vai, Peppe ! Ma ti fanno lavorare, sai !"

Source de la vidéo : Site YouTube

samedi 27 novembre 2010

Fiumi di lucciole (Fleuves de lucioles)



"L'Italia con gli occhi aperti nella notte triste..."






Une lecture de
Dolce Vita, de Simonetta Greggio


Blu notte
est une célèbre émission de la Rai consacrée aux mystères de l’Italie contemporaine, et c’est également sous la couverture bleu nuit des éditions Stock que parait Dolce Vita, roman dans lequel Simonetta Greggio – une Italienne qui a choisi d’écrire en français – se penche elle aussi sur ces nombreux mystères. L’ouvrage parcourt vingt années de l’histoire italienne, de 1959 à 1979 ; on y retrouve, dans une série de courts chapitres disposés comme autant de pièces d’un puzzle que l’on a fort peu de chances de voir un jour rassemblé, le récit des faits qui ont marqué cette période, depuis la première romaine de La Dolce Vita jusqu’à l’assassinat d’Aldo Moro, en passant par les attentats des années de plomb et les mystères de la Banque du Vatican, du Gladio ou de la Loge P2.

Un fil rouge romanesque lie tous ces événements : la confession in hora mortis du prince Emanuele Valfonda, dit Malo, une sorte de Guépard romain, qui a choisi de se confier au jésuite Saverio, à qui le lie une longue complicité, et plus encore, comme nous le révèlera la fin du récit. Malo sait qu’il va mourir, et dans sa villa de Torre Cane, à Ischia, il évoque une dernière fois ses frasques et ses secrets, en témoin engagé de ces années dorées et sanglantes. Ces pages-là ne sont pas ce qu’il y a de mieux dans le roman, on les sent parfois un peu cousues de fil blanc, comme les dialogues entre Malo et Saverio, qui donnent souvent l'impression d'avoir été fabriqués pour servir de commentaire ou de contrepoint idéal aux différents événements évoqués. C’est plutôt lorsqu’elle raconte les petits et grands mystères de ces vingt années italiennes que Simonetta Greggio est pleinement convaincante : on sent qu’elle possède parfaitement son sujet, et qu’elle s’appuie sur une documentation solide. Elle sait évoquer les mythologies (au sens de Barthes) de ces années-là : le Club Piper, Laura Antonelli ou Moana Pozzi, mais aussi démasquer les faux-semblants d’enquêtes qui, plutôt que de chercher à faire la lumière, semblent plutôt avoir pour but d’obscurcir encore les mystères ; elle relève des coïncidences troublantes, des connivences inattendues, des pistes laissées inexplorées. L’un des derniers chapitres, intitulé Post-Italie, montre d’ailleurs de façon très claire à quel point l’Italie d’aujourd’hui, désespérément berlusconienne, vient de ces années-là, qu’elles en sont en quelque sorte le triste mais logique aboutissement. Ce sentiment de l’inéluctabilité dans la catastrophe est parfaitement exprimé vers la fin du roman par le jésuite Saverio dans un monologue intérieur : «Les fantômes nous poursuivent. Sans sépulture, sans paix. Les nœuds ne sont pas défaits, Brigades rouges et fascistes meurtriers sont en liberté. Sans avoir parlé. Manipulés sans le savoir ou en connaissance de cause, aucun d’entre eux n’a rien dit. De toute façon, il n’y avait pas grand monde pour écouter... Ce qui n’a pas été, ce qu’on a empêché d’être continuera de nous hanter.»

La force et l'originalité de Dolce Vita résident principalement dans l’évocation minutieuse de ce cortège d’ombres qui accompagne l’histoire de l’Italie moderne, avec ses cadavres «excellents» et ses intouchables phénix de la politique et des affaires, qui n’ont nul besoin de se laver le visage le matin, puisqu’il leur suffit de remettre leur masque (et on pense au Divo Andreotti, ou au Cavaliere Dorian Gray). Simonetta Greggio nous fait remonter au fil des pages ce fleuve de lucioles qu’évoque Malaparte dans la citation placée en exergue, fleuve scintillant qui nous conduit vers un cœur de ténèbres, que seules éclairent aujourd’hui dans cette Italie «nef sans nocher dans la tempête, non reine des provinces mais bordel» (Dante) les lampions des fêtes berlusconniennes et les millions d’écrans qui diffusent imperturbablement les émissions de Sua Emittenza.







Images
: en haut, La Dolce Vita de Federico Fellini

en bas, Barbara D'Urso, l'une des stars de la télévision berlusconienne

mardi 23 novembre 2010

Tendance Piper



Une belle évocation du célèbre Piper, le club romain inauguré en février 1965, dans le roman de Simonetta Greggio Dolce Vita, sur lequel je reviendrai :

Claquements des portières. Les Alfa Romeo, Giuletta, Spider se garent entre la Villa des Grenouilles et la Maison des Fées. Le Piper, nouvelle boîte pop, vient d’ouvrir ses portes, mille lires pour une double ration de musique live, Rokes et Equipe 84. À partir d’aujourd’hui, tous les soirs le quartier Coppedè de Rome, un secteur calme et vert parsemé de villas Art déco, liberty et baroque, va se transformer en parking. L’air calme et doux de la longue soirée romaine résonne des pas d’hommes cravatés accompagnés de leurs épouses, d’éclats de rire de gosses de bonne famille en cachemire donnant le bras à de sages demoiselles en jupes écossaises et talons bas, mais plus la nuit avance, plus la foule qui se presse est jeune, si jeune que la vingtaine est l’âge des plus vieux, garçons aux pantalons rayés et filles à la jupe retroussée dans la ceinture pour la raccourcir. Une camionnette de carabiniers guette l’entrée du club. C’est ici qu’on récupère nuit après nuit les écolières du Sacré-Cœur et les héritiers en tenue de collège, fugueurs évadés d’une Italie étriquée, rabougrie et desséchée qui les ennuie à en crever. Le passage entre le pays en noir et blanc et le monde auquel ils aspirent, criard et violent, se fait au n° 9 de via Tagliamento.

(...)

Tendance Piper. Du neuf, du sang rouge, du son rauque, des voix qui réveillent les morts, des mots à hurler entre deux murmures chauds. Soir après soir, les chanteurs et les musiciens viennent faire leurs preuves ici. Le Piper n’accepte que les révoltés, les insoumis, les insolents, les effrontés.

(...)

C’est une toute jeune fille blonde, Vénitienne menue aux yeux bridés, seize ans, timide et arrogante, puis un garçon façonné en fil de fer, trop gracieux pour plaire aux femmes, une très jeune fille à la voix rauque de mec en colère, et encore une autre avec la tête de Françoise Sagan, le petit monstre des lettres françaises. Patty Pravo, Renato Zero, Caterina Caselli, Rita Pavone, Mita Medici, et l’incroyable Mal dei Primitives, sombre, embrasé, yeux incandescents et corps d’éphèbe affamé. Tous entre quatorze et vingt ans, alors que le Piper est interdit aux moins de dix-huit. Qu’importe, on se faufile par l’arrière, on invoque un oncle avec qui on a rendez-vous à l’intérieur. Rock’n roll, baby. Quelques mots nouveaux, une porte qui s’ouvre sur un univers dont on ne se doutait même pas.

Simonetta Greggio  Dolce Vita (1959-1979), éditions Stock, 2010





dimanche 21 novembre 2010

Biglietto lasciato prima di non andar via




Biglietto lasciato prima di non andar via

Se non dovessi tornare,
sappiate che non sono mai
partito.

Il mio viaggiare
è stato tutto un restare
qua, dove non fui mai.

Giorgio Caproni Il Franco cacciatore ed. Garzanti



Billet laissé avant de ne pas partir

Si je ne devais pas revenir,
sachez que je ne suis jamais
parti.

Tous mes voyages
ont, en fait, consisté à demeurer
ici, où jamais je ne fus.

Giorgio Caproni Le franc-tireur éditions Champ Vallon, 1989

Traduction
: Philippe di Meo

Image : Massimo Girotti dans la séquence finale de Teorema, de P.P. Pasolini

samedi 20 novembre 2010

La Mummia di Grottarossa (La Momie de Grottarossa)


À la dame qui demande des histoires gaies...





Lode a te, che così presto morta
Il tuo abisso agli amanti non hai dato ;
Ma quanta gioia per chi t'ama ancora
Osso spiumato, nudità oscura
Nel bel rottame scrutare il punto
Da cui l'uccello dell'anima è partito.

Un male gracile eri, uno di pingue
Carne saresti stata. Una che è viva
Col sorriso che hai perso a noi lo porta.

Lode a te, bambina morta,
Senza portato d'uomo, sacra morta,
Pubere tra le bende diventata.

Guido Ceronetti Compassioni e disperazioni, ed. Einaudi, 1987





Louée sois-tu, toi qui si tôt morte

N'as pas livré ton abîme aux amants ;
Mais quelle joie pour qui t'aime encore
Os déplumé, nudité obscure
De scruter dans le beau débris l'endroit
D'où l'oiseau de l'âme s'est envolé.

Tu étais un mal chétif, tu serais devenu
Un mal bien en chair. Une autre vivante
Avec le sourire que tu as perdu nous l'apporte.

Louée sois-tu, fillette morte,
Sur qui l'homme n'a pas pesé, morte sacrée,
Devenue pubère entre les bandelettes.

(Traduction personnelle)

Images : en haut, Site Flickr

en bas, Poupée de la momie de Grottarossa (Wiki Commons)

Un article (en français) sur la momie de Grottarossa

Un reportage télévisé (en italien) sur la momie de Grottarossa












lundi 15 novembre 2010

Une rose pour Marc Porel



If I should'nt be alive
When the Robins come,
Give the one in Red Cravat
A memorial crumb –

If I could'nt thank you,

Being fast asleep,
You will know I'm trying
With my Granite lip !

Emily Dickinson






Jacques Porel était le fils de Réjane, et le père de Jacqueline Porel, la mère de Marc Porel. Réjane, son fils et son arrière petit-fils reposent aujourd'hui dans le même tombeau, au cimetière de Passy. Je cite ici un extrait du très bel ouvrage de souvenirs publié par Jacques Porel en 1951 aux éditions Plon, Fils de Réjane. Dans ce passage, il évoque la mort de sa mère:

«Dieu qu'elle était petite, lorsque je l'eus étendue !


(...)


Celle qui, après avoir été pauvre, avait gagné des fortunes pour les jeter ensuite par les fenêtres. Celle qui faisait dire à ses amis qu'elle était encore plus étonnante dans la vie qu'au théâtre jusqu'à l'instant où ils la retrouvaient en scène et alors toute la question se posait à nouveau. Celle qui avait trouvé les meilleurs raccourcis entre le rire et les larmes et qui – à cet égard – était assurée d'emporter son secret avec elle. Celle qui avait, sur la scène comme dans la vie, du charme et de l'autorité, de la malice et de l'émotion, du comique et du pathétique, parce que la vie est, ainsi, exposée de tous les côtés à la fois, aux vents de la joie et de la douleur. Celle qui, toujours semblable à elle-même, n'en finissait pas, à elle seule, d'être une multitude, – cette femme, ma mère enfin ! que des foules avaient vu vivre au théâtre depuis quarante ans, il m'était donné, à moi tout seul, de la voir mourir.

Tel était le monstrueux honneur que me faisait la Providence : être l'unique spectateur de ce spectacle unique. Ma mère, petite et immobile, sous mes yeux éblouis par le chagrin.
J'avais enfin compris : c'en était fait. Je n'étais plus rien que sa pauvre victime.
Il faudrait des mots simples, aigus – des mots qui piquent, des mots qui cognent – pour dire, aujourd'hui, ce que je ressentis alors. Ma mère, cette femme immense, elle tenait peu de place.

Et pourtant, les grands résultats obtenus par ce petit être que la mort livrait à ma curiosité, mon cœur les évoquait. Il est vrai de dire qu'ils atténuaient ma douleur.
Comme dit le langage courant, sa vie avait été courte mais bien remplie.
Enfant durant le siège de 1871, elle mourait au lendemain de la Grande Guerre, jeune encore mais ayant aimé, ayant été adorée, ayant fourni, toute sa vie, un travail considérable qui ne serait pas oublié de sitôt.
Elle évitait la vieillesse, les infirmités de l'âge. Elle disparaissait, comme doit faire une actrice, d'un coup, en pleine célébrité. Que regretter pour elle ? Comme l'ennui, le regret n'était pas son affaire.»




A propos de Marc Porel, voici quelques lignes extraites du recueil de souvenirs de Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (éditions Robert Laffont, 2000) :

«Pour son film Un homme de trop, Costa-Gavras cherchait un garçon pour jouer le rôle crucial d’un jeune résistant. Il avait vu quelques acteurs, aucun ne lui convenait. Il me demanda de l’aider à chercher l’acteur idéal pour le rôle.
A l’époque, j’étais en train de synchroniser un film à La Garenne-Colombes. Un jour, entre deux séances, j’allai au bar du studio pour prendre un café. Et là, je vis un garçon superbe. Âgé d’une vingtaine d’années, il avait une beauté sauvage. En riant, je m’approchai de lui.
« Vous voulez faire du cinéma ? »
Il me regarda, un peu surpris, et me répondit par une amabilité du style : « Va te faire cuire un œuf, tu n’es pas mon genre. »
En plus, il avait du caractère. Très bien pour le rôle ! J’insistai donc…
« Je ne blague pas. Costa-Gavras est en train de préparer un film et nous cherchons quelqu’un comme vous… »
Il devint tout de suite plus attentif.
« Ah bon ?
– Oui, oui, vraiment. Téléphonez demain à ce numéro. Comment vous appelez-vous ?
– Marc Porel. »
Il était le fils de Jacqueline Porel. Costa le reçut, l’engagea tout de suite, et il fut formidable dans le film. Il avait une fougue, une rage, un vrai tempérament d’acteur. Je le vois encore arriver au studio sur sa moto avec sa petite amie – ils étaient magnifiques. Je l’imaginais parti pour une grande carrière d’acteur. Son rôle dans La Horse aux côtés de Jean Gabin lui valut tous les éloges. Il y avait en lui quelque chose d’un Delon jeune, la même insolence, la même allure. Hélas, la mort le faucha en plein vol, cet ange fut emporté par une overdose. Pierre Clémenti, magnifique acteur qui jouait dans le film le rôle d’un milicien, avait lui aussi des problèmes avec la drogue, et sa carrière en souffrit énormément. Sa vie aussi, je suppose. Et pourtant, il avait en lui tous les atouts, une élégance, une aristocratie, une majesté naturelles et une intelligence de jeu indéniable. Je les revois tous les deux, superbes, l’air perpétuellement ailleurs, les joues creuses. Ils traversaient l’existence comme des somnambules.»


"Quello sguardo così triste..."


Je remercie l'auteur du blog Balades dans Paris qui m'a aimablement autorisé à reproduire ici ses deux photographies de la tombe de la famille Porel au cimetière de Passy.

Image de Marc Porel : Site Flickr